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Verlaine de Jean-Baptiste Baronian

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Après avoir lu les BD  Verlaine de Jagodzinski et Casanave et Rimbaud de Xavier Coste, je continue cette semaine ma découverte de la vie de ces deux poètes avec un ouvrage plus « sérieux » puisqu’il s’agit d’une biographie du premier. Une histoire d’une grande richesse, faite d’une errance perpétuelle entre Paris, les Ardennes, l’Angleterre et la Belgique  et de chutes innombrables – l’aventure avec Rimbaud, si elle est la plus connue, est loin d’être la seule période de trouble pour Verlaine.

Jean-Baptiste Baronian en dresse un portrait presque à charge. Verlaine est en effet un alcoolique notoire, qui sous l’effet de l’absinthe tombe sous le coup de crises de rage d’une violence inimaginable. Rimbaud, bien sûr, en a fait les frais, mais aussi sa femme Mathilde, qu’il tente d’étrangler, et sa mère qui tente régulièrement de le ramener à la raison. Même sobre, Verlaine traite ses proches avec beaucoup de négligence, ne se rappelant à leur bon souvenir qu’en cas de besoin, et ne noue de relations solides qu’avec peu de ses contemporains. Même ses amitiés littéraires restent superficielles, bien qu’il fréquente constamment des cercles où figurent pléthore de personnages plus ou moins importants, de Mallarmé à Villiers de l’Isle-Adam. Tous, par leur persévérance, parviennent petit à petit à se faire un nom ; Verlaine, trop instable et indigne de confiance, devra pour cela attendre ses toutes dernières années, et n’en profitera qu’entre ses séjours à l’hôpital, sujet à de nombreuses maladies aggravées par l’alcool.

 L’histoire de Verlaine est donc celle d’une longue et douloureuse déchéance, d’un tiraillement perpétuel « entre le sublime et l’immonde » comme il le dit dans ce poème, tiré d’un des derniers recueil publiés de son vivant, Epigrammes :

J’ai beau faire la paix partout,
Dans ma vie ainsi qu’en mon âme,
Beau vouloir me tenir debout,

Fort d’un équilibre où la femme
Et l’homme ont la meilleure part,
Grâce au bon Oubli, seul dictame,

Seul népenthès et seul départ
D’avec l’atrocité du monde
Sous sa céruse et sous son fard ;

Une inquiétude profonde
M’agite en douloureux transports
Entre le sublime et l’immonde :

– Deux écueils, Seigneur, ou deux ports? 

verlaineCe qui frappe, d’ailleurs, à la lecture de cette biographie et des quelques extraits de poèmes (très bien choisis parmi des textes peu connus de Verlaine), c’est l’immense fossé entre les turbulences de la vie et la douceur mélancolique, sous laquelle se cache certes souvent une certaine morbidité, de l’oeuvre. Et heureusement que l’oeuvre est là, car il serait difficile de supporter la mesquinerie et la veulerie d’un aussi misérable personnage si on ne se disait pas à chaque instant qu’il est aussi l’auteur de certains des plus beaux poèmes en langue française…

Au-delà de cet aspect-là, et sans en rajouter dans le résumé de la vie de Verlaine, j’ai été surtout intéressé par un personnage secondaire : sa mère. J’ignorais tout à fait qui elle était jusqu’à ce que je lise la BD de Jagodzinski et Casanave qui la présentait sous un jour bien peu glorieux : autoritaire, proche de la folie, obsédée par les bocaux contenant les trois enfants monstrueux morts-nés avant Verlaine. Ce dernier trait, particulièrement affolant, est indiscutable, mais Baronian la présente tout de même de manière bien plus positive, en sorte de martyr de la maternité. Des enfants, elle en a toujours voulu, toujours rêvé ; elle a prié des nuits entières pour enfin avoir cet ingrat de Paul. Toute sa vie, elle l’aura choyé, suivi partout, sorti de tous les coups durs ; elle est la seule à l’attendre, sous la pluie battante, lorsqu’il sort de prison ; elle finance la reprise de son activité poétique au milieu des années 1880. Une mère étouffante, il est vrai, mais tout de même héroïque et qui constitue un beau personnage secondaire.

Pour autant, et malgré les nombreuses qualités de cette biographie, Baronian romance un peu trop l’ensemble. Il est certes agréable de ne pas se contenter de l’aridité des faits ou de copier-coller des morceaux des mémoires d’untel et de la correspondance d’un autre, mais quand on nous entraîne dans la chambre à coucher de Verlaine et de sa femme et qu’il est précisé que Verlaine apprécie « de réaliser que cette femme l’emplit de volupté et lui procure une intense jouissance érotique » tandis qu’elle se montre « satisfaite », on se dit que d’une il ne nous manque plus que la liste des positions pour vraiment tout savoir, et de deux que l’extrapolation va un peu trop loin.

D’autant plus que ce genre de détails nous est curieusement épargné lorsqu’il s’agit d’aborder la relation avec Rimbaud ou Lucien Létinois – une frilosité loin d’être banale mais qui me contrarie toujours. Pas que je veuille, là non plus, tout savoir de leurs ébats, mais le décalage me semble révélateur, surtout quand un des rares paragraphes abordant de front la relation amoureuse avec le « Rimbe » contient une question telle que « Dans le couple, est-il l’homme, est-il la femme ? » En 2013 (certes, cette biographie a été publiée en 2008), même votre oncle le plus beauf n’ose plus la poser celle-là, quand bien même il serait bourré à rouler sous la table, si ? Dommage, donc, même s’il s’agit d’un minuscule détail qui ne m’a pas gâché ma lecture, qu’on la trouve dans un tel ouvrage…

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Vous aurez sans doute reconnu en en-tête un détail du fameux Coin de table de Fantin-Latour ; Verlaine et Rimbaud y sont les premiers en partant de la gauche.

Classé dans:(Auto)biographies, Biographie, Histoire, XIXe siècle Tagged: poète maudit, rimbaud, verlaine

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